Les intellos du Québec
C’est un peu la synthèse de la carrière d’Yvan Lamonde qui est un pionnier de l’histoire des intellectuels au Québec (et qui fera l’objet d’un colloque à Edmonton l’automne prochain). Il est à la retraite depuis deux ou trois ans, mais encore très actif et il nous a embrigadés dans ce projet (rires).
Oui, beaucoup. Premièrement, il y a des femmes intellectuelles aujourd’hui, alors qu’avant, il n’y en avait pas. La structure en place ne permettait pas aux femmes de s’exprimer intellectuellement. D’où notre titre masculin-féminin (qui a été l’objet de débats entre nous) qui veut reconnaître cette évolution. L’intellectuel québécois a en outre moins tendance à renier sa québécitude. La tension entre la culture populaire et le français normatif utilisé par les intellectuels dans les années 50-60, et qui a sans doute alimenté une certaine forme d’anti-intellectualisme... Cette tension a disparu. Et plus l’éducation universitaire se généralise, plus l’anti-intellectualisme tend à disparaître. Mais il y en a encore, le maire de Saguenay en est la preuve.
Cela partait d’abord d’une contrainte éditoriale : une limite d’espace. On voulait un seul volume et on ne voulait pas qu’il fasse 700 pages. On a fait chacun nos listes, puis on a discuté, débattu. On a voulu faire un livre accessible qui donnerait envie aux gens de découvrir qui se cache derrière des noms connus qui font partie de leur environnement (comme la station de métro Henri-Bourassa ou le cégep André-Laurendeau).
Pour les plus jeunes, on s’est attardés à la manière dont ils font bouger les choses au Québec. Dans le cas de Mathieu Bock-Côté, par exemple, c’est indéniable qu’il est une figure de proue du néoconservatisme. Ses positions marquent une évolution du discours nationaliste au Québec. Dans le cas d’Aurélie Lanctôt, elle est une figure représentative d’un nouveau féminisme. Dans cette catégorie, on avait l’embarras du choix. Gabriel Nadeau-Dubois représente quant à lui l’évolution de la pensée anarchiste. On l’associe à la gauche, à la démocratie participative.
Honnêtement, il n’y a pas encore eu d’essais majeurs de leur part au Québec. Je crois qu’ils sont encore à l’école, qu’il y a des plumes importantes qui sont sur le point de produire. Et il y en a un certain nombre du côté de la création – le spoken word, la poésie, etc. Ils n’ont pas encore pris la parole comme intellectuels.
C’est mal vu dans le milieu universitaire d’être trop présent dans les médias. On va vous le reprocher. Le mérite des professeurs est évalué sur leurs subventions de recherche, leurs publications scientifiques, pas sur une participation médiatique qui risque de réduire leur pensée et où ils auront très peu de temps pour s’exprimer. C’est le gros problème du milieu universitaire québécois, on forme des spécialistes, pas des intellectuels. Or je crois qu’il ne faut pas avoir peur de se mettre en danger dans l’espace public.
La formation française, qui est entièrement axée sur l’agrégation, et donc, sur les examens oraux, explique l’aisance oratoire des Français. Ils sont prédisposés à intervenir sur tout alors qu’ici, les universitaires apprennent à écrire des articles savants. C’est tout simplement une différence de formation, mais pour le reste, nous n’avons rien à envier aux intellectuels français.
Dictionnaire des intellectuel.les au Québec
Sous la direction d’Yvan Lamonde, Marie-Andrée Bergeron, Michel Lacroix et Jonathan Livernois
Les Presses de l’Université de Montréal
343 pages